Planctum de Jotsaud

 

Article avec Monique Goullet paru dans les Cahiers de Civilisation Médiévale 1996 :

 

Planctum describere : les deux lamentations funèbres de Jotsaud en l'honneur d'Odilon de Cluny

 

Le planctus neumé du ms. Paris BN lat. 18304 m’avait été signalé par Anne Brenon, directrice du Centre d’Etudes Cathares, lors des recherches de l’Ensemble Venance Fortunat, pour un programme destiné au IXe centenaire de Cluny III, en 1988.

Ce planctus présente un motif musical simple noté scrupuleusement sur chacune des strophes de la pièce, d’une écriture en accents :

- virga : son plus aigu que le précédent, forme d’un accent aigu ’

- punctum : son plus grave que le précédent, forme d’un point  .

- climacus: trois sons descendant sur une même syllabe, forme d’un accent aigu suivi de deux points  ’:

il renforce l’accent important de la première phrase de chaque strophe, sauf à la dernière strophe où une erreur de copie l’a, semble-t-il, décalé

- pes : deux sons montant sur la même syllabe, ce  pes est composé d’un point auquel est attaché un accent aigu. Il ne prend pas la forme incurvée plus courante dans d’autres écritures

-un seul torculus (trois sons dont le second est plus aigu que les deux autres) sur le dernier mot du planctus : Amen. Cette formule d’Amen, très courante, nous a permis la transcription. Ce torculus, dont la hampe montante est cassée, ainsi que les pes semblent caractéristiques de l’écriture employée dans le monastère de Cluny (cf. Dom Hourlier, «Remarques sur la notation clunisienne». Etudes grégoriennes, 1951, p.231-240).

Les signes musicaux, pour rudimentaires qu’ils soient, précisent cependant certaines articulations pour le chantre : ils indiquent les liquescences, difficultés de prononciation généralement au frottement de deux consonnes (ex : hoc carmen). Pour éviter le heurt, le signe liquescent fait sonner musicalement la première consonne pour adoucir la suivante.

On trouve cette écriture a campo aperto au IXe, elle est généralisée au Xe-XIe où apparaissent cependant les lignes. Au XIIe, date du manuscrit, elle devient rare, employée surtout sur des hymnes bien connues ou sur des cantillations syllabiques proches de la lecture (comme ici).

Musicalement, ce planctus reproduit inlassablement le même schéma favorisé par l’isorythmie parfaite du texte, avec une coquetterie musicale à signaler : la sensation de clos (final) est située sur la fin de la première partie de la phrase ou de la strophe, tandis que l’ouvert intervient en fin de phrase sauf pour le dernier vers ; le torculus ramène le clos, sur le mot amen, ce qui est logique.

Ce même schéma musical qui, répété tout au long de la pièce avec comme seules variantes les liquescences, fait penser à une lecture cantillée liturgique, évoque les Lamentations de Jérémie des leçons de Ténèbre aussi bien que l’Exultet pascal. Mais il est plus simple que ces leçons liturgiques et il rappelle plutôt la récitation des psaumes que le vers 10 pourrait confirmer (dites en plaintes alternées) ; la récitation psalmique était en effet exécutée en chœurs alternés, de même que nombre d’hymnes et de séquences.

Comme le montre Monique Goullet à propos du vers 47, cette formule « pourrait faire référence à l’espace et au temps imaginaire du poème », d’autant que le vers 87 du premier planctus de Jotsaud, sans notation musicale, utilise une formule équivalente, ce qui fait acte d’une pratique courante (… épithalame aux modulations alternées).

On sait combien la récitation des psaumes était au centre de la vie liturgique monastique, particulièrement à Cluny. Cependant la place de cette pièce dans un tel manuscrit en exclut l’application liturgique au cours d’un office même des défunts, comme Monique Goullet l’écrit, s’appuyant sur Les livres liturgiques de Michel Huglo.

Ce planctus ne pouvait-il illuminer les récréations ou l’étude des clercs ou des moines, comme les premiers tropes de l’abbaye de Saint-Gall ?

Sur le plan de l’esthétique de ce planctus, il paraît évident que le texte à faire sonner est beaucoup plus important que l’adjonction musicale qui pourrait véhiculer tout autre texte de quantité syllabique identique; de même que pour tout ce qui était récitation psalmique ou lecture, les tons-formules s’adaptaient d’un psaume ou d’une autre lecture indépendamment de la quantité des syllabes.

Généralement tout ce qui se rattache à la mort est pour le compositeur aussi bien que le chantre prétexte à beaucoup de lyrisme, tant dans les courtes antiennes de la semaine sainte que dans les rites tels que le lavement des pieds, les impropraires etc., fort dramatiques et toujours soutenus par des mélodies plus expressives que pour les autres « temps » ; il en va de même dans les rites paraliturgiques tels que les lamentations de Marie au pied de la croix, qui iront en s’amplifiant au cours des siècles suivants. Ici le lyrisme n’est évident que dans le texte littéraire, qui sera cependant entendu plus loin grâce à la cantillation portant la voix.

Ceci pose de nouveau la question de la représentation ou non du premier planctus, qui comporte des rubriques qui ont pu être interprétées dans le sens d’un « jeu ». Une longue fréquentation des jeux liturgiques nous fait suivre Monique Goullet lorsqu’elle doute de cette prestation. En effet, dans la plupart des jeux liturgiques qui fleurissent au XIIe s. -notamment le manuscrit de Fleury-sur-Loire- les rubriques ne sont pas des têtes de chapitres qui annoncent l’idée qui sera développée, mais bel et bien les gestes qui accompagnent l’action («Jésus apparaît vêtu en jardinier » etc.).

 


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