L’ancienne église du collège des jésuites et de la cour épiscopale de Porrentruy

Construite de 1597 à 1604 par Nicolas Fric d’Ulm, elle fait partie du vaste complexe de bâtiments édifiés à l’instigation du Prince-évêque de Bâle, Blarer de Wartensee, pour l’installation du collège des jésuites dans son évêché. L’église d’origine, de style gothique tardif, n’est aujourd’hui plus guère reconnaissable à la suite des transformations et des agrandissements qu’elle a subis. A l’époque baroque notamment, elle s’est enrichie d’un décor en stuc des murs, datant des années 1678-1680, réalisés par les artistes de l’école de Wessobrunn (Bavière) ; le décor du plafond a été réalisé entre 1717 et 1720. Le décor peint a disparu en grande partie : il n’en reste qu’un fragment sur le mur sud. Deux épitaphes du XVIIe siècle apposées sur les murs de retour du chœur ont été conservées ; elles sont dédiées à la mémoire de deux Princes-évêques, fondateur du collège et restaurateur de l’église.i

Avant la Révolution, cet édifice vit s’y rencontrer des évêques, des dignitaires ecclésiastiques, des ambassadeurs des cours d’Europe et des cantons suisses. Il fut un lieu privilégié pour y conférer l’épiscopat aux évêques effectifs et in partibus, remettre la mitre et la crosse aux abbés des monastères, célébrer les obsèques de Princes et des alliances solennellesii. Pendant la Révolution, après la déchéance du Prince-évêque en 1792, l’église fut dévastée intérieurement en 1793 ; elle devint le lieu de célébration des fêtes civiques, puis le temple décadaire, lorsque l’église St Pierre, pendant un temps temple de la Raison, redevint l’église paroissiale avec le rétablissement de la liberté des cultesiii. Sans affectation précise après la Révolution, salle d’exercices, dépôt, elle fut rendue au culte catholique de 1858 à 1874. Pendant 20 ans, elle servit à la suite de salle de gymnastique à l’église cantonale, de lieu de réunion, de promotions et de concerts. En 1898, le vaisseau de l’église fut séparé dans le sens de la hauteur par la pose d’un entresol qui dissimula son plafond splendidement décoré. Une salle de gymnastique fut aménagée dans la partie inférieure et la bibliothèque des jésuites, comprenant entre autres plus de 400 manuscrits et incunables, dans sa partie supérieureiv. Cette mutilation fut corrigée grâce à une restauration d’ensemble entreprise par les pouvoirs publics de 1962 à 1965. La richesse de l’ornementation de l’ornementation intérieure a été ainsi restituéev. Mais en même temps, un imposant dispositif de scène était construit dans le chœur, condamnant sa mise en valeur et masquant tout son espace, près de la moitié du volume intérieur de l’église, dans le but de faire de cette dernière une salle de spectacle et l’aula de l’école cantonale, devenue lycée cantonal en 1979.

Les travaux de rénovation avaient rétabli la grande tribune sur toute la largeur de l’édifice, au-dessus de l’entrée. Quelques années plus tard, la Fondation Pro Musica s’est proposée d’y édifier un orgue d’étude et de concert quam optimae artis. En 1985, après avoir récolté d’importants fonds privés et publics, elle en confia sa construction à Jürgen Ahrend né en 1930, qui dirige depuis 30 ans son atelier de dimensions artisanales à Leer-Loga (Allemagne du Nord). Artisan-artiste, il avait à son actif de nombreuses réalisations par le monde, construction d’orgues neufs et restaurations. L’orgue réalisé à Porrentruy est un instrument de très grande qualité, qui fait corps avec l’édifice. L’art du maître, son choix de matériaux exclusivement nobles, sa connaissance exceptionnelle de la facture, sont fondées dans les leçons pratiques que seul le passé peut encore donnervi. Trop souvent ignorées par l’esprit de la modernité, elles dépassent nos connaissances scientifiques. Ce sont elles cependant qui confèrent à l’instrument ses qualités mécaniques et acoustiques tout à fait remarquables, échappant aux mesures techniques, comme aux normes d’écoles et de principes : elles se traduisent dans une finesse singulière du toucher, une subtilité du son et une élégance de l’harmonisation toutes spéciales. L’admiration et l’émerveillement dont témoignent les organistes et les visiteurs en sont le signe incontestable. L’instrument a attiré des organistes parmi les plus connus : récitals, concerts, enregistrements, mais aussi simples visites par intérêt, souvent suffisant pour motiver un long voyage.

L’orgue de Porrentruy est la copie -première au monde, car jamais un organier n’avait osé réaliser une telle copie- d’après un orgue baroque de Gottfried Silbermann, contemporain et concitoyen de Jean Sébastien Bach, se trouvant à Glauchau en Thüringe et édifié en 1730. Il a 30 jeux, 2 claviers (CD-d```), 1 pédalier (CD-d`), 3 soufflets cunéiformes, des tuyaux de haute teneur en étain, d’autres en chêne ; tempérament d’après Werkmeister, diapason 440, pression 68mm, mécanique suspendue à l’aplomb. L’artiste a ajouté une trompette au grand orgue et a porté l’étendue des claviers au ré3. Le buffet est en chêne, les sculptures de J. Brühlmann, la polychromie à la tempera sur fond de craie avec dorures à l’ancienne de J.-Ph Villoz. L’instrument a été inauguré officiellement et remis à la République et Canton du Jura à titre gracieux le 24 mai 1985, « avec pour seule mission de le préserver en son état d’origine comme un témoin de haute bienfacture et de grande beauté ».

Pour des raisons difficilement compréhensibles, cet événement n’a pas provoqué le mouvement qui devait permettre de rendre à l’ancienne église sa dimension d’origine : c’était pourtant la condition obligatoire pour que l’instrument puisse s’épanouir pleinement et dans toute la mesure de ses possibilités. Dix ans après, la Fondation Axiane a pris l’initiative de faire enlever le dispositif de scène et éclairer le chœur ainsi dégagé : l’édifice pouvait enfin être présenté au public dans sa splendeur d’antan-cum stupore omnium- le 20 octobre 1995, avec des pièces jouées au grand orgue et à la flûte solo. Chacun d’ici et d’ailleurs peut maintenant se rendre compte de la véritable richesse de ce lieu, non seulement remarquable monument historique de l’art baroque du Jura, mais devenu un espace exceptionnel pour la musique qu’il n’avait jamais été.





i Marcel Berthold, Arts et monuments, République et Canton du Jura, 1989, Bugra, Berne.

ii Annales ou histoire du collège de Porrentruy, texte établi et traduit par C. Eschenlohr, 2 vol., Porrentruy, 1995

iii Journal de François-Joseph Guélat, Delémont, 1906 ; nous remercions M. Berthold de nous y avoir rendu attentifs.

iv Cinquantenaire de l’Ecole cantonale, Porrentruy, 1908

v Marcel Berthold, Arts et monuments, République et Canton du Jura, 1989, Bugra, Berne.

vi Selon les indications de P. Flückiger, Fondation Pro Musica.


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