LE GRADUEL ET BELLELAY

Jean-Claude Rebetez

Porrentruy, juin 2016

Note liminaire

Notre article commence par un résumé de l’histoire de Bellelay, permettant de mieux connaître la genèse du couvent, les circonstances de sa fondation, son importance et ses phases de développement. Puis nous chercherons à apporter des réponses aux questions qui ont été posées sur la signification du manuscrit du graduel pour le couvent de Bellelay et la région, du point de vue de l’historien, et non du musicologue. Vu la maigreur des sources, nous ne pouvons toutefois apporter que des réponses fort insuffisantes : le lecteur nous pardonnera donc d’avoir trop souvent pris le risque de développer notre argumentation sur la base d’hypothèses et de conjectures – mais le sujet à traiter ne nous permettait guère de faire autrement.

Survol de l’histoire de Bellelay

Les prémontrés en Suisse romande au XIIe siècle

L’abbaye du Lac de Joux[1] est le premier couvent établi sur le territoire de la Suisse actuelle. Il est fondé entre 1126 et 1134 par le couvent de Saint-Martin de Laon, l’un des premiers établissements prémontrés. L’évêque Barthélémy de Laon (1131-1151) et son frère Ebal, de la famille des Grandson-La Sarraz, sont à l’origine de sa création ; Barthélémy sera le grand protecteur de l’ordre et un agent efficace de sa diffusion[2]. L’abbaye jouera le rôle de nécropole familiale pour les Grandson, qui en assumeront l’avouerie[3]. Le Lac de Joux sera à l’origine de plusieurs filiales, et aussi d’un prieuré, Rueyres[4] (d’abord prieuré féminin peu avant 1141, puis prieuré masculin, puis simple grange[5] gouvernée par un « maître », au début du XIIIe siècle.). Le couvent disparaît à la Réforme.

L’abbaye d’Humilimont[6] est fondée entre 1136 et 1141 par celle du Lac de Joux et par des seigneurs laïcs dont l’identité est discutée[7]. Humilimont est à l’origine du prieuré (d’abord féminin) de Posat[8], vers 1140. Bellelay[9] est, elle aussi, une fille du Lac de Joux, créée vers 1140 (nous y reviendrons), de même que Fontaine-André[10], fondée en février 1143 grâce aux seigneurs de Neuchâtel ; en fait, la direction et le peuplement de Fontaine-André ont été confiés par le Lac de Joux à l’abbaye de Corneux[11] (diocèse de Besançon, elle-même fille de Saint-Martin de Laon, 1134[12]).

Les abbayes prémontrées de Suisse alémaniques sont plus tardives et n’ont pas la même origine que celle de l’ouest de la Suisse[13]. Les abbayes romandes ont en effet toutes été fondées par Saint-Martin de Laon d’abord, puis surtout par le Lac de Joux, dans une fourchette chronologique étonnement étroite soit de 1126/1134 à 1143 (entre cinq et dix-sept ans pour quatre abbayes et deux prieurés !) ; ce sont de plus toutes des créations ex nihilo (aucune n’est issue de la réforme d’un établissement préexistant) et elles relèvent toutes de la circarie de Bourgogne.

Ces couvents sont concentrés dans des régions de montagne, en Gruyère et surtout dans l’arc jurassien, qui se taille la part du lion. En revanche, certaines régions, comme le Plateau, sont pratiquement vides. Il est frappant de constater que le diocèse de Lausanne occupe une place éminente : au XIIe siècle, la province ecclésiastique de Besançon comprend un total de six abbayes et trois prieurés prémontrés, dont trois abbayes et deux prieurés dans le diocèse de Lausanne, deux abbayes et un prieuré (Grandgourt) dans le diocèse de Besançon, une abbaye (Bellelay) dans le diocèse de Bâle et aucun établissement prémontré dans celui de Belley. Les maisons du diocèse de Besançon, Corneux (fondée en 1134 par la réforme d’une communauté canoniale antérieure) et Belchamp (créée ex nihilo par le comte de Montbéliard entre 1140 et 1143)[14], se trouvent d’ailleurs dans une position géographique marginale dans leur diocèse. Si les historiens ont justifié la rareté des couvents prémontrés dans le grand diocèse de Besançon du fait de la forte concurrence d’autres établissements canoniaux[15], leur abondance dans le diocèse de Lausanne s’explique sans doute principalement par le rôle de l’évêque Barthélémy de Laon, originaire du diocèse de Lausanne et grand promoteur de l’ordre. Elle s’explique aussi par l’adéquation des prémontrés avec la volonté de l'Église de Lausanne et des seigneurs locaux d’établir des couvents dans les zones montagnardes du diocèse en voie de valorisation.

Adeptes de l’ascétique « voie étroite », les prémontrés revendiquent un certain isolement, des conditions de vie rudes, ainsi que la pauvreté (du moins à l’origine) ; en outre, ils pratiquent le travail manuel (vite limité aux frères convers), ce qui leur permet de s’adapter plus facilement à un environnement économique difficile. C’est cet idéal exigeant qui exerce la fascination sur les seigneurs laïcs et la population, et amène ceux-ci à créer, puis à soutenir des maisons prémontrées, en vue de profiter de leurs bienfaits spirituels. Certes, les cisterciens ont un profil très comparable, mais, comme leur succès est fulgurant au XIIe siècle, ils sont déjà bien représentés dans la région[16]. Le recours aux prémontrés s’explique du reste probablement aussi par la volonté d’éviter la domination trop exclusive d’un ordre particulier – les cisterciens – et par le désir de diversité des maisons religieuses dans les régions concernées.

Fondation de Bellelay : acteurs et motivations[17]

Selon la légende et la tradition, Siginand, le prévôt du chapitre des chanoines séculiers de Moutier-Grandval (à 15 kilomètres à vol d’oiseau de Bellelay) se serait égaré dans la forêt lors d’une partie de chasse et n’aurait pu se sortir de ce mauvais pas qu’après avoir fait le voeu de bâtir une chapelle en l’honneur de saint Augustin. Siginand aurait ensuite fondé, à côté de cette chapelle, un couvent, dont la tradition fixe la date de fondation à l’année 1136.

Mais c’est une légende... Que disent les documents ? Nous n’avons pas de charte de fondation de l’abbaye, et le premier document mentionnant Bellelay est une confirmation pontificale du 14 mars 1142[18]. Résumons son contenu : elle est adressée au premier abbé, Gérolde (attesté de 1142 à 1179), et à ses frères, qui se consacrent au service de Dieu dans leur église Saint-Imier de Bellelay, dont le pape garantit le rattachement perpétuel à l’ordre de Prémontré. Surtout, la bulle confirme les (très modestes) biens des chanoines[19] et elle interdit que nul autre que l’évêque de Bâle n’exerce l’avouerie sur Bellelay, de même qu’elle impose la sujétion canonique du couvent envers le même évêque. Cette bulle ne mentionne pas Siginand ou Moutier-Grandval, et la clause – exceptionnelle – concernant l’avouerie met en évidence l’importance du rôle de l’évêque de Bâle.

Quelle est la date probable de la fondation de Bellelay ? La maigreur extrême des biens mentionnés dans la confirmation de 1142 montre que l’abbaye est très jeune et n’a pas encore assuré sa pérennité en mars 1142 ; la fondation est donc de très peu antérieure. Elle est de plus vraisemblablement postérieure à mars 1139, car, à ce moment, l’évêque de Bâle Ortlieb se trouve à Rome pour le concile du Latran II et il obtient des bulles en faveur du couvent de Trub[20] et du couvent cistercien de Lucelle[21]. Il serait fort étonnant qu’il n’en ait pas profité pour faire aussi accorder un privilège pontifical à Bellelay, dont il sera l’avoué. Cela est d’autant plus évident que la bulle du 14 mars 1142 a très certainement aussi été demandée par l’évêque lui-même, ou par son émissaire envoyé à Rome pour obtenir une autre bulle en faveur de l’évêque, datée du 31 mars 1142[22]. La date de fondation de Bellelay se situe donc entre mars 1139 et mars 1142, vraisemblablement en 1140.

Poussons un peu l’enquête pour démêler les rôles respectifs de Siginand et de l’évêque de Bâle dans cette fondation. La famille de Siginand est inconnue, mais il s’agit certainement d’un homme de haute extraction : le chapitre de Moutier-Grandval est un établissement important à l’échelle régionale, et même diocésaine. Le chapitre est étroitement lié à l’église de Bâle, ainsi qu’à son évêque, et le prévôt de Moutier-Grandval est un homme de poids. Cela est particulièrement évident pour Siginand, qui est attesté pour la première fois en 1115, comme représentant de l’évêque d’alors (acte de Berthold III de Zähringen)[23]. Il apparaît ensuite souvent dans les documents. La date de sa mort est incertaine : selon le (peu fiable) nécrologe de Bellelay, elle a lieu en 1176 et on trouve en effet la mention d’un Siginand prévôt de Moutier-Grandval en 1175...[24] Mais cela signifierait qu’il aurait été prévôt de 1115 à 1176 (plus de 60 ans !), et qu’il serait mort à passé 80 ans ou plus vieux encore. Sans être impossible, cela est étonnant et rien n’interdit d’imaginer qu’il pourrait avoir eu un successeur du même nom, moins prestigieux que lui[25].

Le rôle de Siginand dans la fondation de Bellelay est sûr : les biens du nouveau couvent mentionnés en 1142 proviennent largement de ceux du chapitre de Moutier-Grandval ; du reste, une bulle de confirmation des biens de Moutier-Grandval de 1179 précise que le couvent de Bellelay se trouve sur son territoire et lui doit pour cela le cens symbolique d’une livre de cire. De plus, un document de 1176 (ou peu après) parle de Siginand comme du « fundator » de Bellelay et précise qu’il a établi les frontières du couvent du côté du village de Sornetan[26]. D’ailleurs, il n’est pas sûr que le chapitre de Moutier-Grandval ait partagé les vues généreuses de son prévôt pour la nouvelle fondation. Non seulement il y aura des procès continuels entre Bellelay et Moutier-Grandval au sujet de leurs biens respectifs, mais un document de 1158/1160 atteste d’évidentes tensions, dont la cause nous est inconnue, entre le prévôt et ses chanoines de Moutier-Grandval : il s’agit d’une donation du comte de Ferrette au chapitre, donation assortie de clauses fort étonnantes limitant le pouvoir du prévôt et garantissant les droits du chapitre[27]. Ce contexte permet de penser que la dotation de Bellelay pourrait donc avoir été accomplie par le prévôt de façon autoritaire, voire abusive.

Puisque le rôle de Siginand est certain dans la fondation de Bellelay, comment expliquer celui de l’évêque ? Ortlieb de Froburg (fin 1137 – août 1164, mort en Italie) est un homme très intéressant et remarquable, un évêque assez typique de l’Eglise d’Empire : issu d’un lignage important (une famille comtale possessionnée dans le Buchsgau, le Sisgau, l’Alsace, l’Argovie, etc.), il nourrit d’excellentes relations avec les souverains germaniques, Conrad III (1138-1152) et Frédéric Barberousse (1152-1190). Il s’agit d’une personnalité éminente, d’un proche des souverains (surtout de Conrad III), qu’il accompagne souvent et qui le chargent de missions importantes – on sait qu’Ortlieb est légat impérial en Italie en 1150/51. Sa fidélité à la politique impériale l’amène d’ailleurs à soutenir sans l’ombre d’une hésitation le pape schismatique Victor IV. Pourtant, il s’agit d’un prélat très digne et compétent, aussi soucieux de la bonne gestion spirituelle de son diocèse que de l’extension de la principauté épiscopale[28]. Car cet évêque « de cour » est un réformiste : il soutient les établissements religieux, notamment les réformateurs comme les cisterciens et les prémontrés, il améliore la façon de tenir les synodes diocésains, il cherche à récupérer les dîmes perdues pour l’Eglise, à retirer les églises paroissiales des mains laïques... et il participe à la croisade. Bref, il cherche à exécuter le programme de rénovation de l’Eglise, mais sans accepter les choix politiques des acteurs de la Réforme grégorienne, qui revendiquent la primauté du pape sur l’empereur. Devant ce personnage qui représentait pour lui un paradoxe, Mgr Louis Vautrey (par ailleurs souvent excellent historien) tenait à toute force à laver ce remarquable évêque du « stigmate du schisme », en lui imaginant une conversion tardive et une mort sainte[29] ! Il faut dire que Vautrey écrit en 1884, juste après le Kulturkampf, à une époque où les historiens catholiques ne plaisantent pas avec les schismes...

Revenons au rôle de l’évêque Ortlieb dans la fondation de Bellelay. Un document de 1146 illustre bien la façon dont les jeux d’influence ont pu se produire alors. Il s’agit d’un acte par lequel l’évêque donne deux églises (celles de Boécourt[30] et de Tavannes[31]) à l’abbaye de Bellelay. Ces nouveaux revenus sont cruellement nécessaires à la jeune maison, qui reste très pauvre. Mais en fait, Ortlieb ne donne rien du tout : il agit en tant qu’ordinaire pour confirmer les donations, qui viennent du chevalier Ringier d’Asuel (Boécourt) ainsi que du chapitre de Moutier-Grandval et de son avoué (Tavannes, dont Ringier d’Asuel est certainement l’avoué non nommé). Bellelay s’empressera de faire confirmer ces deux dons par le pape en 1148, mais ils feront quant même l’objet de longues contestations ultérieures de la part des Asuel et du chapitre de Moutier-Grandval. La politique épiscopale est ici transparente : l’évêque fait payer des seigneurs laïcs, ainsi que, une fois encore, le chapitre de Moutier-Grandval. Et cela en faveur d'une abbaye dont il est le seul à tirer un bénéfice visible sur le plan politique, puisqu’il s’en réserve l’avouerie, en plus de ses droits de chef diocésain.

Pourquoi Ortlieb favorise-t-il l'abbaye de Bellelay ? Les motivations politico-stratégiques ont sans aucun doute été déterminantes. L’évêque a cherché à consolider la frontière ouest du diocèse et de sa seigneurie. Le couvent de Bellelay se trouve en effet dans une région où la frontière entre les diocèses de Besançon et de Bâle a été déplacée vers l’ouest au profit du diocèse de Bâle. L’opération a été effectuée dans des conditions inconnues, probablement à la fin du XIe siècle[32], et elle concerne la prévôté de Saint-Ursanne et les Franches-Montagnes. Témoin de l’ancienne emprise bisontine, le village de Tramelan[33] restera d’ailleurs une enclave du diocèse de Besançon jusqu’à la Réforme. Grâce au couvent de Bellelay, dépendant de l’évêque de Bâle à la fois comme ordinaire et comme avoué, ce changement de frontière se trouve conforté. Les évêques de Bâle ont d’ailleurs (mutatis mutandis) poursuivi une même politique expansionniste en direction du diocèse de Lausanne, en s’appuyant sur le chapitre de Saint-Imier, mais sans parvenir cette fois à déplacer les frontières diocésaines (Saint-Imier restera du diocèse de Lausanne)[34]. Plus important encore, Bellelay se trouve dans une région où l’Eglise de Bâle est en train de construire sa seigneurie temporelle, en s’appuyant largement sur les établissements ecclésiastiques existants et sous sa dépendance (Saint-Ursanne, Moutier-Grandval, Saint-Imier). Bellelay représente une brique de plus dans cette construction. Le fait que l’évêque s’en réserve l’avouerie prend donc tout son sens dans ce contexte. Enfin, le couvent permet d’établir une structure d’encadrement pour la colonisation de cette région d’altitude (près de mille mètres). La mise en valeur de cette dernière a déjà commencé et l'évêque utilisera Bellelay pour y stimuler le peuplement tout en le contrôlant et pour limiter l'essor des seigneuries laïques potentiellement concurrentes[35].

Aspects religieux : pourquoi des Prémontrés ?

On comprend que l’évêque n’ait pas choisi des clunisiens pour la nouvelle fondation : cet ordre n’est alors plus guère prisé des réformateurs ; de plus, les clunisiens sont exemptés de l’autorité épiscopale. Pourquoi, en revanche, Ortlieb ne s’est-il pas adressé à l’ordre de Citeaux, puisque nous avons vu qu’il avait de la sympathie pour les cisterciens de Lucelle ? Certes, on sait que les cisterciens évitent de fonder des maisons trop proches les unes des autres, mais la distance entre Bellelay et Lucelle est comparable à celle séparant les abbayes bisontines de Belvaux et de la Charité, par exemple[36] ; cet argument ne tient donc pas. La motivation principale d’Ortlieb est sans doute la volonté d’équilibre et de complémentarité dans le développement religieux du diocèse, qui ne comptait pas encore de Prémontrés. De plus, ces derniers ont bien des points communs avec les cisterciens : enthousiasme spirituel, observance rigoureuse, pauvreté, prestige – l'ordre connaît lui aussi un développement très important. D’autres raisons sont aussi possibles. Par exemple, les prémontrés sont moins indépendants de l’ordinaire que les cisterciens[37], dont les exemptions par rapport aux évêques se développent fortement dès les années 1130, un fait qui n’a pas dû échapper à Ortlieb. La question de la possession des églises paroissiales a aussi peut-être joué un rôle. On sait que les cisterciens y sont en principe hostiles ; ainsi, l’abbaye de Lucelle ne possède aucune église paroissiale jusqu’à la fin du XIIe siècle[38]. En revanche, Bellelay détient dès sa fondation celle de Nugerol et deux autres églises dès 1146, sans doute grâce à Ortlieb, nous l’avons vu ; nous pensons donc que l’évêque tenait à ce que le couvent puisse avoir des églises, pour des motifs aussi bien politiques que religieux et économiques[39]. En effet, la possession d’églises par Bellelay permettait d'assurer au couvent les revenus d'une partie de la dîme paroissiale tout en mettant un terme à la mainmise des seigneurs laïques sur les desservants et les revenus des églises concernées – ce qui constituait un des objectifs prioritaires de tous les réformateurs.

Le choix des prémontrés tient donc à la conjonction des éléments suivants : la politique expansionniste très dynamique du Lac de Joux et de ses filiales ; l’excellent accueil réservé aux prémontrés dans l’Arc jurassien (l’essaimage rapide de l’ordre n’aurait pas été possible sans l’enthousiasme des seigneurs et de la population, générant à la fois les vocations et les dons matériels nécessaires) ; et bien sûr, last but not least, l’intérêt (et l’habileté !) de l’évêque, sans qui rien n’aurait pu se faire. Ortlieb a de plus habilement joué en favorisant l’établissement sous son contrôle, dans la partie welsche de son diocèse et à la frontière ouest de sa seigneurie temporelle en formation, d’un ordre qui connaissait une forte popularité dans la population francophone de l’arc jurassien : il ne pouvait ainsi que conforter son pouvoir. Notons enfin que Bellelay constituera dans la région la dernière expression du renouveau religieux et monastique des XIe-XIIe siècles, et qu'elle y sera l'ultime fondation religieuse notable jusqu’à la fin du Moyen Âge. Cela restera vrai jusqu’à la création du collège des Jésuites de Porrentruy, à la fin du XVIe siècle, puis la vague de fondation des couvents liés à la Contre-Réforme (Capucins, Annonciades, Ursulines), tous établis en milieu urbain.

Survol du développement du couvent

À la fin des années 1130, l’abbé du Lac de Joux, Siginand et l’évêque de Bâle se mettent d’accord pour créer le couvent de Bellelay. L'abbé met des chanoines de son couvent et/ou de sa filiale à disposition (l’abbé Gérolde vient d’Humilimont). Siginand et l'évêque assurent à la fondation des revenus de base et une protection politique efficace. Cette collaboration apparemment exclusivement ecclésiastique et l’absence de fondateurs laïcs visibles sont frappantes et représentent un cas unique : dans le cas de tous les autres couvents prémontrés de la région, des fondateurs laïcs jouent un rôle important. La jeune abbaye prend corps vraisemblablement en 1140. L’évêque la prend sous sa protection, lui obtient sa première bulle de confirmation, s’arrange pour compléter ses revenus. Le couvent croît peu à peu, grâce à son dynamisme propre et aux donations. Le fait que la première abbatiale du couvent ait saint Imier comme patron en 1142, témoigne de l’adoption d’un culte régional, de nature à séduire la population des environs. Risquons ici une hypothèse : peut-être y a-t-il là un indice de la volonté de récupérer au profit de la jeune abbaye le culte de ce saint régional, à un moment où le chapitre de Saint-Imier n’existe peut-être plus et n'a pas encore été rétabli (il n’est attesté qu’à partir de la fin des années 1170, ce qui est très tardif).

Après des débuts laborieux dont témoignent les bulles de confirmation de biens de l'abbaye de 1142 et 1148[40], les années 1160-1170 ouvrent une phase de nette croissance, qui aboutit à la constitution d’un temporel suffisant pour l’entretien convenable du couvent, comme en atteste une bulle de confirmation de 1182 qui mentionne de nombreuses possessions. Vers la fin du XIIe s., Bellelay peut construire sa première abbatiale « en dur » et elle fonde une filiale en Ajoie, Grandgourt, qui sera réduite ensuite en prieuré[41]. Après une période plus calme, la croissance reprend fortement entre 1242 et 1285, en particulier autour de quatre centres névralgiques régionaux, là où l’abbaye dispose d’une importante exploitation rurale et du patronage d’une église paroissiale[42]. Dès 1300, l’agrandissement des possessions du couvent ne s’effectue plus majoritairement par des dons reçus, mais par des achats de terres et de rentes, qui culminent à la fin des années 1320. Lourdement touchée par les désordres du XIVe siècle (crise de la seigneurie foncière, peste, chute démographique, incendies, guerres destructrices…), Bellelay connaît à la fin du siècle la situation économique la plus difficile de son histoire et manque de disparaître : en 1402, il n’y a plus que neuf chanoines, y compris le nouvel abbé Henri Ner (1401-1424/27)[43]. Ce dernier sera l’un des abbés marquants de l’histoire de Bellelay : efficacement soutenu par l’évêque, il restaure le temporel du couvent tout en occupant des fonctions importantes dans le diocèse ; représentant l’ordre de prémontré au concile de Constance, il obtient du pape, pour lui et ses successeurs abbés de Bellelay, le droit de porter la mitre et la crosse – ce qui ne l’empêche pas d’avoir au moins trois enfants, et ses deux fils feront de belles carrières ecclésiastiques ! Les abbés de Bellelay sont issus en principe de la bourgeoisie urbaine ou de la paysannerie aisée régionale (les nobles sont très rares) ; les chanoines ont la même origine sociale. Au XVe siècle, le nombre des chanoines s’élève à environ seize.

La Réforme manque de faire disparaître le couvent – qui se trouve dès lors à la frontière religieuse – et lui porte un coup durable : en 1561, il ne compte que sept chanoines lors de l’élection de l’abbé Fottel[44]. Si la situation matérielle est rétablie à la fin du XVIe siècle et annonce la prospérité à venir, le couvent présente alors des désordres graves dans son organisation et la vie spirituelle de ses membres. Le nonce apostolique, l’évêque de Bâle et les visiteurs de l’ordre de Prémontré unissent leurs efforts pour améliorer la situation, ce qui est chose faite au début du XVIIe siècle.

Le XVIIe siècle voit les abbés de Bellelay accéder à la présidence de l’assemblée des États de la principauté épiscopale, convoquée à partir du début du siècle[45] – un honneur qui donne la mesure de la place du couvent dans la principauté… honneur toutefois ambigu et à relativiser, puisque l’abbé ne parvient pas à faire dispenser son couvent de payer les contributions imposées aux États ! La guerre de Trente ans ravagera la partie nord de la principauté épiscopale ; du fait de ses combourgeoisies avec Bienne et Soleure[46], Bellelay est épargnée de justesse, mais ses possessions septentrionales sont gravement touchées et ses revenus s’effondrent. La prospérité revient dans la deuxième partie du XVIIe siècle et, en 1700, le couvent compte trente membres. De nombreuses constructions ponctuent la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, avec en point d’orgue la reconstruction de l’abbatiale, consacrée en 1714, et celle des bâtiments conventuels dans les années 1730[47]. Malgré la participation de l’abbé Sémon aux contestations et aux soulèvements populaires contre l’autorité princière (les « Troubles du pays », de 1728 à 1740, étouffés par l’évêque grâce à l’aide militaire française), malgré les énormes amendes et réparations payées par le couvent en conséquence de cet engagement imprudent, Bellelay continue son essor dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. On relèvera en particulier la création d’un important collège pour les jeunes gens de la bonne société, lequel comptera 62 élèves en 1779 et plus d’une centaine en 1797[48], provenant majoritairement de l’étranger. Le couvent est supprimé par l’invasion des troupes de la République française en décembre 1797 et ses biens sont confisqués. Ainsi disparaît une institution religieuse vieille d'environ 650 ans, dont les imposants bâtiments conservés témoignent encore aujourd'hui de l'importance passée.

Le manuscrit du graduel et Bellelay

Date de l’entrée à Bellelay du manuscrit

Nous savons que le graduel dit de Bellelay se trouvait dès le Moyen Âge déjà dans ce couvent prémontré, et cela grâce à deux notices qui ont été ajoutées au feuillet 9 du manuscrit, avant le début du texte du propre du temps[49].

Ces textes figurant sur la page 9 ont été compilés dans la première partie du manuscrit, qui comporte divers autres ajouts[50]. Ils sont les seuls textes de tout le volume qui ne concernent pas la liturgie, mais relèvent d’une tout autre catégorie, à savoir la gestion administrative et économique. Ces deux notices ont été effectuées au même moment et sont de la même main, main qui ne se retrouve pas dans le reste du Graduel ; il s’agit donc d’une intervention unique. L’écriture de ces ajouts ne présente pas de caractère particulier : il s’agit d’une écriture livresque (et non documentaire) assez soignée et tout à fait courante.

Pourquoi les notices de la page 9 permettent-elles d’affirmer que le Graduel se trouvait à Bellelay dès le XIIe siècle ? [51] Tout simplement parce qu’elles rendent compte de deux donations effectuées au profit du couvent (« ecclesie de Bellelagia ») dans une région proche, l’Ajoie[52]. Or, la présence de tels documents dans le manuscrit ne peut s’expliquer que si ce dernier était possédé par l’abbaye concernée elle-même. La première notice précise qu’un certain « Reinbaldus » (Rimbaud) de Spechbach a donné et vendu au couvent des biens importants dans le village de Montignez[53], en présence de nombreux témoins (dont les noms sont mentionnés), ainsi que du premier abbé de Bellelay, Gérolde[54], de son prieur Albert et d’un frère convers. La deuxième notice rend compte de la donation d’un pré à Coeuve, un autre village d’Ajoie, donation effectuée aussi en présence de témoins, par l’archidiacre Frédéric, inconnu par ailleurs. La présence de semblables ajouts dans des manuscrits où ils n’ont à priori rien à faire, n’est pas rare au Moyen Âge et on en trouve de nombreux autres exemples ailleurs qu’à Bellelay ; ils apportent souvent de précieuses informations sur l’histoire de la transmission des manuscrits concernés.

La question de la date de rédaction de ces notices est plus épineuse. Elle est cependant cruciale, puisqu’elle pourrait nous donner une indication sur un éventuel terminus ante quem, c’est-à-dire une date limite avant laquelle le manuscrit devait obligatoirement se trouver à Bellelay. En 1971, sur la base de critères paléographiques qu’il ne mentionne pas, Albert Bruckner date l’écriture des notices du milieu du XIIe siècle environ[55]. Dans leur très beau catalogue de 1999, Rudolf Gamper et Romain Jurot proposent « vers 1160/1170 », sans préciser leurs motifs, mais probablement sur la base d’une analyse paléographique complétée par des critères historiques[56]. Cette datation a été reprise récemment par Olivier Cullin, qui y voit une indication forte plaidant pour l’entrée du Graduel à Bellelay au moment de la fondation de celle-ci, ou peu après[57]. Notons encore que, au milieu du XIXe siècle, le savant archiviste Joseph Trouillat datait ces notices de « vers 1170 », mais sans s’expliquer davantage[58]. Du point de vue paléographique, l’écriture des notices présente en effet certains traits qui permettent une datation dans la deuxième moitié du XIIe siècle[59]. Toutefois, l’analyse paléographique ne peut à notre sens que rester assez vague, en raison de l'absence de manuscrits autochtones datés permettant des comparaisons de leurs écritures. En effet, nous ne disposons à notre connaissance d’aucun manuscrit liturgique de cette époque copié à Bellelay ou dans l’espace jurassien proche. Par ailleurs, les actes documentaires ne peuvent combler cette carence, car les chartes du XIIe siècle rédigées dans la région et encore conservées aujourd’hui en originales, sont relativement rares pour la zone géographique concernée[60], et malheureusement inexistantes pour Bellelay. Il faut hélas attendre 1254 pour rencontrer la première charte conservée en originale, dont nous puissions être quasiment sûrs qu’elle a bien été écrite de la main d’un chanoine de Bellelay : c’est naturellement bien trop tard, et du reste, elle ne présente pas de ressemblance avec l’écriture des notices[61].

Des critères historiques autorisent cependant à resserrer la fourchette chronologique. En effet, il est certain que la donation-vente figurant dans la première notice a dû être effectuée avant les années 1180 et plus particulièrement avant la fin de 1181, comme le prouvent deux bulles pontificales accordées respectivement au couvent de Bellelay en mars 1182 et à sa filiale de Grandgourt en février 1188[62]. Ces deux bulles sont des confirmations solennelles des possessions des couvents respectifs. Le document de 1188 inclut dans les biens de Grandgourt un domaine à Montignez, dont il précise qu’il a été donné par Rimbaud de Ferrette, un ministérial du comte Louis de Ferrette. Or, ce Rimbaud de Ferrette peut sans risque être identifié avec le Rimbaud de Spechbach nommé dans la notice du graduel, vu qu’il s’agit immanquablement du même bien-fonds que celui figurant dans la notice[63]. Comme la bulle de mars 1182[64] en faveur de Bellelay mentionne déjà le domaine de Montignez (sans préciser toutefois le nom de son donateur), cela nous autorise à affirmer que la donation-vente consignée dans la notice du graduel a eu lieu auparavant, donc avant la fin de 1181.

Par ailleurs, le recoupement des attestations dans d’autres actes des témoins mentionnés nommément dans les notices du graduel permet de confirmer qu’une fourchette allant des années 1160 aux années 1170 est effectivement vraisemblable[65]. Un dernier indice enfin : comme les notices ne font pas mention de la filiale de Grandgourt, qui figure pourtant déjà sous le terme de « monasterium » dans la bulle de 1182 et qui reçut le domaine de Montignez, cela suggère que la donation-vente de celui-ci a été effectuée quelques années avant la rédaction de la bulle de 1182, c’est-à-dire à un moment où le projet de fondation d’une abbaye-fille en Ajoie n’était pas encore effectif, ou alors seulement embryonnaire, d’où l’absence de la mention de Grandgourt. De ce point de vue aussi, le début des années 1170 est donc assez plausible.

Il faut toutefois préciser que les critères historiques que nous avons mentionnés permettent de dater la donation-vente du domaine de Montignez elle-même, alors que la rédaction de sa « memoria »[66] dans le graduel a théoriquement pu intervenir bien des années après. Nous pensons toutefois que ce n’est pas le cas et que la rédaction de nos textes est contemporaine ou a suivi de près l’action elle-même. En effet, il est vraisemblable que les deux notices ont été compilées dans le graduel à la faveur de l’émotion suscitée à Bellelay par l’importance des acquisitions en question. Malgré la carence des sources, nous pouvons sans risque supposer que ces acquisitions marquent le début de la présence économique de Bellelay en Ajoie, une région où elle s’implantera par la suite fortement. En effet, le centre d’exploitation le plus important de Bellelay dans cette zone se trouvera par la suite à Montignez, un village situé, et ce n’est pas un hasard, juste à côté de Grandgourt, où l’abbaye fondera sa filiale. L’acquisition du domaine de Montignez a donc représenté un grand succès et une étape essentielle dans l’histoire de Bellelay, en lui ouvrant de nouvelles perspectives, tant du point de vue économique que religieux. Il ne fait pas de doute que les chanoines en avaient pleinement conscience ; dès lors, il est logique de penser que l’importance de ces acquisitions a justifié la rédaction simultanée des deux notices mémorielles dans le graduel. C’est pourquoi une rédaction postérieure ne me semble guère probable, d’autant qu’elle aurait alors difficilement pu passer sous silence l’existence de la filiale de Grandgourt. Relevons pour finir que la donation ne peut en aucun cas avoir eu lieu avant 1148, date d’une autre bulle pontificale en faveur de Bellelay qui ne la mentionne pas[67] ; 1148 représente donc un terminus post quem absolu pour la rédaction des notices.

En résumé, nous pouvons donc avancer avec une forte probabilité que le graduel est entré à Bellelay vers le milieu du XIIe siècle (ou peu après), peut-être déjà au moment de sa fondation, et que les notices y ont été rédigées en toute probabilité entre 1148 et 1181, très vraisemblablement dans une fourchette allant des années 1160 aux années 1170, et peut-être effectivement, comme le proposait déjà Joseph Trouillat, vers 1170.

Hypothèses sur le sort du graduel aux XIIe-XVIe siècles

Selon les spécialistes, les graduels étaient conservés à proximité des objets du culte et du lieu où se chantait la messe ; ils étaient donc rangés dans une armoire du chœur, ou éventuellement de la sacristie. Toutefois, ils n’en sortaient pas très souvent, car ils n’étaient pas destinés à une utilisation quotidienne, ni fréquente. En effet, le graduel ne doit pas être compris comme une partition, consultée et utilisée systématiquement comme nous le ferions aujourd’hui, car les chanoines chantaient les messes par coeur, sous la direction du chantre ; en fait, le graduel représentait plutôt un volume où l’on consignait l’usage en cours à Bellelay, volume qui devint ainsi le réceptacle de la mémoire de la liturgie chantée du couvent[68]. À ce titre, il faisait l’objet d’une conservation sans doute très soigneuse, ce qui, associé au fait que sa consultation était probablement relativement peu fréquente, a permis la transmission du manuscrit dans un état de grande fraîcheur de nos jours encore – malgré son usage pluriséculaire attesté. On peut donc supposer que l’accès au graduel n’était pas autorisé à tous les membres de l’abbaye, mais dûment contrôlé par le chantre, qui était peut-être le seul habilité à y consigner des corrections ou des ajouts.

Car le manuscrit comporte de nombreuses interventions réalisées à Bellelay, du XIIe au XVIe siècle : grattages, adjonctions, ou encore annotations marginales de repères y furent généreusement ajoutés par les chanoines ! Leur analyse a permis à Olivier Cullin de mettre en évidence la volonté des religieux, dès la fin du XIIe et surtout au XIIIe siècle, de conformer leur graduel à la liturgie prémontrée qui se constituait et s’imposait progressivement alors[69]. Le grand nombre de ces interventions témoigne de l’importance du graduel aux yeux des chanoines et cela sur une durée temporelle impressionnante. Il faut du reste insister ici sur l’intérêt que pourrait avoir une analyse complète et systématique de ces ajouts pour cerner l’histoire liturgique et intellectuelle de Bellelay : combien de mains sont-elles intervenues, selon quelle chronologie, quelle est la qualité des notations musicales utilisées par les chanoines et celles-ci permettent-elles de se faire une idée de la technicité ou du niveau de culture des chantres de Bellelay, etc. ? Si nous ne sommes pas qualifiés pour mener cette recherche, nous pouvons toutefois donner trois exemples qui permettent d'illustrer l’intérêt d’une étude sur les compléments au manuscrit apportés par les religieux du couvent :

L'ajout de saint Imier dans le sanctoral (p. 340) et la question des saints régionaux

À l’origine, le graduel ne comportait pas la mention d’Imier, un saint régional assez peu connu ailleurs[70], mais important pour Bellelay, puisqu’il fut le patron de l’église primitive du couvent[71], comme nous l’avons vu. Dès 1192 toutefois, la Vierge Marie est la nouvelle patronne de l’église, entre-temps agrandie et reconstruite en dur[72]. L’ajout à la page 340 concernant Imier manifeste bien l’intérêt des chanoines pour ce saint régional lié à leur propre église, mais cette adjonction demeure assez isolée puisque, par ailleurs, d’autres saints régionaux comme Germain (de Moutier-Grandval) et Ursanne, ou des saints importants pour le diocèse de Bâle, comme Henri II et Pantale, n’ont, eux, pas été jugés dignes de faire l’objet d’une adjonction dans le graduel[73], et cela malgré le nombre considérable d’ajouts opérés par ailleurs dans le sanctoral[74]. Il s’agit là d’une observation intéressante : alors que l’on sait que les membres du couvent se recrutaient en majorité dans la région, il semble pourtant que les chanoines ne s’identifiaient et ne participaient que relativement peu au culte des saints locaux – dont la mémoire était il est vrai assumée par des établissements religieux voisins, à savoir les chapitres de Moutier-Grandval, de Saint-Ursanne et de Saint-Imier. De plus, les chanoines de Bellelay ne suivaient pas le sanctoral du diocèse de Bâle. Cela permet deux suppositions : premièrement, l’appartenance prémontrée des chanoines prenait en l’occurrence l'ascendant sur leur appartenance diocésaine et leur identité régionale ; ensuite, il se peut aussi que le culte des saints locaux ait perdu de son importance au XIIIe siècle, y compris dans la zone géographique directement concernée par leur culte.

Niveau de culture et formation des chanoines (ajouts des pages 8 et 9)

Les notices de la page 9, dont nous avons longuement traité ci-dessus, sont immédiatement suivies par trois annotations sans rapport avec elles. Ces annotations ont été ajoutées de façon grossière, assez chaotique et sans respect de la mise en page (marges, lignes), par un autre scripteur, nettement moins habile et soigneux que celui des notices[75]. Au bas de la page de gauche – la page 8 – se trouve une autre intervention de ce deuxième scripteur, en regard avec celle de la page 9 : il s’agit d’un tropus ad kyrie comportant apparemment une notation musicale[76]. Ces ajouts se trouvent en bas des deux pages concernées et sont donc dans les deux cas postérieurs au reste du contenu des feuillets 8 et 9, y compris des notices ; ils datent de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle[77]. Rédigés d’une grosse écriture malhabile, de façon très fruste, plus proches de l’essai de plume que de l’adjonction soignée, ces ajouts sont le fait d’un membre de l’abbaye a priori peu cultivé, peu familiarisé avec la copie de textes, et dont les adjonctions musicales en particulier sont très malhabiles et témoignent d’une pratique fort élémentaire. On peut donc s’interroger sur sa fonction et les conditions de son accès au manuscrit.

La durée de l’utilisation du graduel (ajouts du XVIe siècle)

On trouve aux pages 17, 19 et 26 trois ajouts réalisés au XVIe siècle par une même main. Le premier comporte deux éléments, à savoir la fin du texte de Isaïe 45, 8[78], dont la version originale du graduel ne donnait que le début, et une annotation de repère (« psalmus ») reprenant et développant en marge la mention abrégée du manuscrit original (« ps »). Les deux ajouts suivants sont aussi des annotations de repère marginales, développant en toutes lettres la mention abrégée d’une pièce figurant dans l’original : « Communio » pour « co » (page 19) et « Offertorium » pour « offr » (page 26). À notre avis, il serait absurde de rapprocher ces ajouts des annotations et corrections effectuées dans les siècles précédents (en tout cas aux XIIIe et XIVe siècles), qui témoignent, elles, le plus souvent d’une « mise à jour » ou d’une véritable adaptation du graduel. Au XVIe siècle, selon nous, le chanoine concerné n’intervient vraisemblablement déjà plus dans les mêmes intentions que ses prédécesseurs, mais il consulte le graduel pour un motif non connu – peut-être de nature historique –, et d’ailleurs de façon très peu intensive (ses interventions sont concentrées aux pages 17 à 26). Ses ajouts témoignent prioritairement du souci de permettre une orientation plus facile dans le texte. Si notre interprétation est correcte, elle implique que le graduel aurait changé de statut et de nature aux yeux des chanoines entre le XVe et le XVIe siècle : auparavant source et témoin vivant de leur pratique liturgique, il aurait alors perdu son importance pratique et serait devenu un vénérable monument du passé du couvent.

Autres manuscrits de Bellelay

Hormis le graduel, Bellelay a-t-elle possédé de nombreux autres livres au Moyen Âge et que pouvons-nous savoir d’eux ? La réponse est très facile et fâcheuse : nous ne savons pratiquement rien ! Il y a diverses explications à cela : d’abord, la Révolution a dispersé la bibliothèque du couvent, pour laquelle il semble du reste que les chanoines n’avaient guère réalisé de bons catalogues[79]. Par ailleurs, il est vraisemblable que la bibliothèque médiévale a été anéantie ou endommagée lors des graves incendies qui ont touché les bâtiments conventuels au XVe siècle et dont on sait qu’ils ont détruit une partie des archives[80]. Les textes documentaires conservés ne nous donnent du reste que de très maigres indications sur la bibliothèque de Bellelay. Tout au plus sait-on que le couvent entretenait une école conventuelle au XIVe siècle, d'une taille certainement très modeste, où des jeunes étaient accueillis pour y être préparés au canonicat, ce qui suppose au moins une bibliothèque sommaire. Autre indice : en 1350, un prêtre séculier, Gérard de Boécourt, chanoine de Saint-Ursanne, ancien curé de Tavannes (cure dépendant de Bellelay), ancien chapelain et receveur de l’évêque à Porrentruy, fait dans son testament divers dons en faveur de Bellelay[81] : il offre en particulier deux livres, à savoir une Summa magistri Johannis destinée à l’instruction des jeunes du couvent, ainsi qu’un bréviaire qu’il avait acheté à l’abbé de Lucelle, et qu’il destinait à l’usage des prêtres séculiers de passage à Bellelay, afin qu’ils puissent y dire leurs heures canoniales[82].

Il n’existe à notre connaissance à ce jour que deux manuscrits médiévaux rescapés de la bibliothèque de Bellelay : le graduel et un bréviaire enluminé du XIVe- XVe siècle conservé à la Bibliothèque Municipale de Montbéliard[83]. Et encore, la provenance de ce dernier manuscrit devrait-elle être vérifiée : sa très brève notice[84] indique qu’il s’agit d’un bréviaire prémontré, provenant du couvent de Bellelay, mais ne précise pas ce qui autorise à l’affirmer, ni s’il comporte des indications (cotes, ajouts) permettant de déterminer à quelle date le manuscrit a pu entrer dans l’abbaye. Pour autant que l’appartenance à Bellelay soit correcte, on ne peut en effet pas du tout exclure une acquisition à l’Epoque moderne[85].

La bible atlantique de Bellelay

À cela s’ajoutent toutefois plusieurs fragments d’une bible atlantique[86], d’une grande importance, qui ont fait l’objet récemment d’une étude fouillée réalisée par Nadia Togni (Université de Genève), dans le cadre d’un travail de recherche plus large[87]. Les bibles atlantiques (dites aussi Riesenbibel) sont des bibles de très grand format, souvent en deux volumes, comportant la totalité de l’Ancien et du Nouveau Testament – leur texte suit du reste le modèle des grandes bibles carolingiennes. Elles ont été réalisées en Italie entre le milieu du XIe et le milieu du XIIe siècle, dans le cadre du mouvement de réforme de l’Église qui s’effectue alors (la Réforme grégorienne). Leur but était de reproduire et de diffuser les Écritures dans une version intégrale et irréprochable. La réalisation des bibles atlantiques impliquait des compétences élevées, non seulement dans l’établissement du texte, mais aussi du point de vue strictement pratique : leur écriture devait être une minuscule carolingienne très lisible et normalisée, la taille des volumes nécessitait des techniques de réalisation spécifiques, la correction de la copie représentait une tâche très astreignante et méticuleuse, etc. Si une centaine de ces bibles atlantiques nous sont parvenues, il n’en existe que deux exemplaires complets en Suisse, d’où l’importance des fragments du volume du couvent de Bellelay, dont Nadia Togni a établi qu’ils provenaient de la même bible et non de deux, comme on le croyait jusqu’alors[88].

Toujours d’après Nadia Togni, la bible de Bellelay daterait de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle et elle suppose qu’elle aurait été acquise par l’évêque Ortlieb de Froburg (voir ci-dessus) lors d’un de ses voyages en Italie – peut-être au printemps 1139, alors qu’il participait au concile du Latran ? – puis offerte par lui au couvent de Bellelay, à sa fondation ou peu après. Nous aurions donc ici une nouvelle preuve de l’intérêt d’Ortlieb pour la réforme de l’Eglise en cours, avec dans le cas précis le recyclage d’un projet mené dans le cadre « grégorien » nonobstant les querelles politiques entre le pape et l'empereur. Il s’agirait de plus d’une des rares largesses qu’il aurait effectuées lui-même en faveur de Bellelay, mais elle est d’autant plus significative que cette bible devait représenter une somme d'argent considérable. En outre, ce don avait une valeur spirituelle et religieuse qu’il ne faut pas sous-estimer dans le contexte de l’époque. Par son geste, l’évêque Ortlieb montrait son soutien résolu au nouveau couvent ainsi qu’à l’idéal de vie religieuse qu’il représentait, et il plaçait symboliquement Bellelay sous la protection divine en lui offrant une des meilleures copies des Ecritures alors disponibles – tout en soulignant sa prééminence épiscopale par la même occasion.

La bible a été démembrée au plus tard dans la deuxième moitié du XVIe siècle, époque où l'on s’est servi de ses feuillets pour en faire de simples reliures de cahiers de reconnaissances de biens destinés à l’administration matérielle courante du couvent. La bible était alors certainement usée, en tout cas pour ce qui concerne sa reliure – mais les feuillets conservés sont dans un bon état de fraîcheur. Par ailleurs, quel qu’ait été son état de conservation, elle ne correspondait plus aux besoins des chanoines depuis un certain temps, et tout particulièrement dans le contexte religieux du XVIe siècle marqué par la Réforme et la Contre-Réforme… ainsi que par l’essor de l’imprimerie. La mise au rebut de la bible de Bellelay fait du reste écho à la mise « hors service » du graduel, qui lui est, semble-t-il, à peu près contemporaine et intervient à la fin du Moyen Âge ou au début de l’Epoque moderne.

Le manuscrit du graduel et les fragments de la bible atlantique de Bellelay représentent des témoins uniques de sa vie intérieure et spirituelle, par ailleurs totalement inconnues. Ils jettent une lumière, certes limitée, mais très stimulante – et inattendue – sur la vie de l’abbaye au XIIe siècle. Grâce à eux, nous avons l’image d’un petit couvent, associé plus étroitement que ce qu’on aurait pu penser au bouillonnement spirituel qui caractérise cette époque. Bellelay est en effet en contact avec des influences culturelles, intellectuelles et spirituelles lointaines – la France du Nord pour le graduel, l’Italie pour la bible – influences dont les chanoines ont dû se faire les relais régionaux. Ils ont participé alors, à leur mesure, aux idéaux, aux combats et aux débats de leur époque si féconde.

Conclusion

Il y a eu deux âges d’or dans l’histoire de l'abbaye. Le XVIIIe siècle bien sûr, lorsque Bellelay comptait parmi les couvents prémontrés les plus importants, que sa prospérité matérielle lui permettait des réalisations architecturales prestigieuses, ainsi que la fondation d’un collège participant de l’esprit des Lumières catholiques. Mais il y a aussi le XIIe siècle, période qui voit la fondation et la consolidation de l’abbaye. Pourtant, les archives témoignent que le couvent ne dispose alors que de ressources matérielles très limitées. Même à la fin du siècle, Bellelay reste un établissement modeste, en rien comparable aux grandes maisons prestigieuses de son ordre, fort inférieur aussi au couvent cistercien voisin de Lucelle. Ce dernier est en effet bien plus prospère matériellement, compte beaucoup plus de religieux, a certainement une vie intérieure et un rayonnement intellectuel très supérieurs, même s’ils nous sont inconnus. Nous en avons cependant un indice dans le fait que les moines de Lucelle rédigent de nombreuses chartes, dont l’écriture et la qualité de rédaction sont très bonnes, alors que les chartes rédigées à Bellelay sont rares, tardives et d’une facture inférieure. Et pourtant, le couvent de Bellelay possède très tôt des manuscrits prestigieux, voire luxueux, qui indiquent que les chanoines étaient en phase avec les forces vives des courants religieux novateurs de leur époque et qu'ils y participaient, malgré leur isolement géographique et leur réelle pauvreté initiale. Le graduel et la bible atlantique permettent donc de compléter et de nuancer ce que les sources d’archives nous apprennent par ailleurs ; ils nous offrent une perspective différente sur l'histoire de Bellelay et ils enrichissent sensiblement notre vision du XIIe siècle dans l’espace jurassien en l'ouvrant sur des horizons plus larges.



Jean-Claude Rebetez est historien, archiviste-paléographe et conservateur des Archives de l’ancien Evêché de Bâle



[1] Canton de Vaud, district de La Vallée ; commune de L’Abbaye.

[2] Helvetia Sacra, IV: Die Orden mit Augustinerregel, 3: Die Prämonstratenser und Prämonstratenserinnen in der Schweiz, Bâle, 2002, pp. 24, 452 (cité : HS IV 3).

[3] L’avoué est un seigneur laïc chargé de certaines tâches d'administration, de police et de justice au nom d'un couvent et exerçant la fonction de protecteur de celui-ci et de ses biens. Ces prérogatives donnent à l'avoué un pouvoir considérable, dont il abuse très souvent au détriment des religieux…

[4] Canton de Vaud, district de Vevey, commune de Chardonne, hameau des Rueyres.

[5] Une grange est une importante exploitation rurale dépendant d’un monastère, en principe exploitée au XIIe s. par des convers (frères chargés des tâches manuelles ; contrairement aux autres religieux, ils ne participent pas au chapitre du monastère).

[6] Canton de Fribourg, district de Gruyère, commune de Marsens.

[7] HS IV 3, pp. 24, 412-413.

[8] Canton de Fribourg, district de la Sarine, commune de Posat.

[9] Canton de Berne, district de Moutier, commune de Saicourt.

[10] Canton, district et commune de Neuchâtel.

[11] HS IV 3, pp. 24, 345-347.

[12] Regesta pontificum romanorum : Gallia pontifica. La papauté et les églises et monastères en France avant 1198, vol. 1 : Diocèse de Besançon, Göttingen, 1998 (cité : Gallia 1998), pp. 214-215.

[13] À l’exception de Gottstatt (canton de Berne, district de Nidau, com. Orpund) : en 1247, le comte Rodolphe de Neuchâtel-Nidau (avec ses frères, dont le prévôt de l’église de Bâle, Henri) fait une donation à l’abbaye de Weissenau dans le but d’établir un couvent. Vu l'absence de succès, il s'adresse en 1255 à l’abbaye de Bellelay. À l'origine, Bellelay joue probablement le rôle d'abbaye-mère, puis c'est le Lac de Joux de 1279 à 1521, et enfin de nouveau Bellelay entre 1521 et 1528, date de la sécularisation de Gottstatt (HS IV 3, pp. 383-410, spéc. p. 383).

[14] Gallia 1998 (voir notre note 12), pp. 213-217 (Corneux), pp. 206-209 (Belchamp).

[15] René Locatelli, Sur les chemins de la perfection : moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers 1060-1220, Saint-Etienne, 1992 (cité : Locatelli 1992), voir le chapitre 2.

[16] Nous évoquerons plus loin le couvent de Lucelle (France, département du Haut-Rhin, sous-préfecture d’Altkirch, canton de Ferrette, commune de Lucelle), géographiquement très proche de celui de Bellelay.

[17] Jean-Claude Rebetez et Cyrille Gigandet, « Bellelay », in HS IV 3, pp. 69-135 (désormais cité : Rebetez et Gigandet 2002).

[18] Joseph Trouillat, Monuments de l’histoire de l’ancien Evêché de Bâle, t. 1-5, Porrentruy, 1852-1867 (cité : Trouillat et no du volume), 1, no 185, pp. 280-281 (bulle de 1142, sous la fausse date du 14 mars 1141).

[19] Le site même de l’abbaye, l’église Saint-Ursanne de Nugerol (actuellement La Neuveville, commune du canton de Berne) ; un domaine à Boécourt (commune du canton du Jura), des vignes à Bienne (commune du canton de Berne).

[20] Trub : Germania pontificia, vol. II, pars II : Helvetia pontificia, Berlin, 1927, pp. 72-75.

[21] Lucelle: ibid, p. 259.

[22] Ibid., p. 224, no 15.

[23] Ulrich Parlow, Die Zähringer, Tübingen, 1999, p. 137, no 199.

[24] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 235, p. 359 ; la notice sur le prévôt Siginand dans HS II 2, p. 372 est peu fiable.

[25] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 222, pp. 339-341.

[26] Ibid., pp. 339-340, sous la fausse date de vers 1161 (Sornetan : commune du canton de Berne, district de Moutier, voisine de Bellelay).

[27] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 221, p. 338 ; la datation est douteuse.

[28] Sur Ortlieb : voir notre résumé dans « La donation de l’abbaye de Moutier-Grandval en 999 et ses suites jusqu’à la fin du XIIe siècle », Actes de la Société jurassienne d’Emulation 1999, pp. 237-238 (cité Rebetez 1999) et surtout Peter Rück, Die Urkunden der Bischöfe von Basel bis 1213, Bâle, 1966, pp. 76-85.

[29] Louis Vautrey, Histoire des évêques de Bâle, Einsiedeln/New-York, 1884, 1, pp. 171-172 ; les documents cités par Vautrey sont mal datés ou douteux et sa démonstration est évidemment sans valeur.

[30] Canton du Jura, district de Delémont, commune.

[31] Canton de Berne, district de Moutier, commune.

[32] Rebetez 1999 (voir notre note 28), spéc. p. 223-230.

[33] Canton de Berne, district de Courtelary, commune.

[34] L'abbaye du Lac de Joux est aussi fondée dans une zone où la frontière entre les diocèses de Besançon et de Lausanne est floue. L’évêque de Lausanne s’est semble-t-il servi de l’abbaye pour les préciser à son avantage. Le Lac de Joux n’est d’ailleurs pas établi dans un désert... mais à 2 km du couvent du Lieu, dépendance de l’abbaye bénédictine de Saint-Claude (HS IV 3, p. 455).

[35] La production sidérurgique régionale constitue un autre enjeu, lié aux précédents, et l'on sait qu’elle est importante dans la région jurassienne dès le VIe siècle, voir : Ludwig Eschenlohr, Recherches archéologiques D’après Ludwig Eschenlohr, elle n’est toutefois significative dans la zone du couvent qu’aux XIIIe-XIVe s. (surtout à la fin du XIIIe s.) et expliquerait selon lui la prospérité de l’abbaye à cette époque. Le rôle de l’industrie du fer n’est pas connu pour la fondation de l’abbaye, mais une activité existe sans doute déjà.

[36] Gallia 1998 (voir notre note 12), p. 241.

[37] Les cisterciens sont notamment dispensés d’assister aux synodes diocésains depuis 1132 (Jean-Berthold Mahn, L’ordre cistercien et son gouvernement : des origines au milieu du XIIIe siècle (1098-1265), Paris, 19822, p. 136) ; c’est explicitement le cas pour Bellevaux en 1139 (Locatelli 1992 (voir notre note 15), p. 239).

[38] Bulle de 1194, Trouillat (voir notre note 18), 1, p. 425.

[39] Il est vrai que, si l’abbaye du Lac de Joux possède aussi une ou deux églises dès sa fondation, ce n’est pas le cas des abbayes prémontrées de Corneux et de Belchamp qui n’en ont pas jusque vers 1160, alors que les abbayes cisterciennes de Belvaux et Cherlieu en possèdent respectivement une dès 1144 et six avant 1161 (Locatelli 1992 (voir notre note 15), pp. 236-237).

[40] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 185, pp. 280-281 (bulle de 1142, sous la fausse date du 14 mars 1141) ; Trouillat, 1, no 202, pp. 311-312.

[41] Jean-Claude Rebetez, « Grandgourt », HS IV 3, pp. 137-152.

[42] En Ajoie, la région de Montignez-Grandgourt, autour des villages de Bécourt (vallée de Délémont) et de Tavannes (non loin de l’abbaye), et enfin à Nugerol (région viticole du lac de Bienne).

[43] HS IV 3, pp. 124-126.

[44] AAEB, A 16/1, 16.6.1561.

[45] Roger Ballmer, Les Etats du pays ou les assemblées d’états dans l’ancien évêché de Bâle, Porrentruy, 1985.

[46] Nicolas Barras, « Des combourgeoisies dans l’ancien Evêché de Bâle », in Jean-Claude Rebetez (dir.), La donation de 999 et l’histoire médiévale de l’ancien Évêché de Bâle, Porrentruy, 2002, pp. 139- 160.

[47] HS IV 3, pp. 92-93. Jean-Claude Rebetez et Damien Bregnard (éd.), Bellelay 1714 – 2014. Des chanoines prémontrés à l'espace d'art contemporain (Actes du colloque du 20 septembre 2014), dans Actes de la société jurassienne d'Émulation 2015, 2016, pp. 155-346.

[48] HS IV 3, pp. 99-100.

[49] Début de l’année liturgique, qui commence avec le cycle de Noël et le premier dimanche de l’Avent.

[50] Nous écartons l’idée que ce premier cahier, qui occupe une place à part dans le manuscrit, ait été ajouté postérieurement à celui-ci. Certes, certains ajouts qu’il comporte sont tardifs, mais il y en a d’autres de la même provenance que le manuscrit de base (voir Rudolf Gamper et Romain Jurot, Catalogue des manuscrits médiévaux conservés à Porrentruy et dans le canton du Jura, Dietikon-Zurich, 1999, pp. 81-84, cité Gamper et Jurot 1999) ; le professeur et musicologue Luca Ricossa nous a indiqué que les antiennes de procession étaient d’une main et d’une notation en tout comparable à la main principale du graduel. Ce cahier a donc été ajouté au lieu même de la rédaction du graduel, au moment de celle-ci, ou peu après, afin d’y porter des compléments ; le cahier comportait encore des pages blanches, ce qui a permis d’autres ajouts ultérieurs, effectués à Bellelay.

[51] Édition des notices dans Trouillat (voir notre note 18), 1, no 229, pp. 349-350.

[52] Ajoie, district du canton du Jura, Suisse.

[53] Montignez : commune, district d’Ajoie, canton du Jura.

[54] Sur Gérolde : voir sa notice dans Rebetez et Gigandet 2002 (voir notre note 17), p. 119.

[55] Albert Bruckner, Scriptoria Medii Aevi Helvetica, XII, Genève, 1971, p. 28, no 96 (photo: Taffel II).

[56] Gamper et Jurot 1999 (voir notre note 50), p. 82.

[57] Voir le site web consacré au Graduel de Bellelay abrité par l’École nationale des chartes (nous renonçons à donner ici des adresses URL en raison de leur instabilité).

[58] Trouillat (voir notre note 18), 1, p. 349.

[59] Traits conservateurs : s droit à la fin des mots avec absence de s à double volute ; présence du d à haste verticale à côté du d oncial à haste inclinée ; H majuscule capital et non oncial ; etc. Traits plus novateurs : pointage du double i ; trait courbe du h plongeant sous la ligne ; caractère brisé de certaines lettres comme le p ou le h des dernières lignes, ainsi qu’accentuation du contraste entre les pleins et les déliés…

[60] De plus, l’écriture documentaire est souvent différente de l’écriture livresque.

[61] AAEB, Série chartes, 1254, 11 novembre (le document porte encore les sceaux de l’abbé et du chapitre); Trouillat (voir notre note 18), 1, no 427, p. 614. Il se pourrait qu’une charte de 1229 ait aussi été écrite par un chanoine, mais cela n’est pas sûr, vu la présence de l’abbé de Belchamps parmi les témoins (Archives de la Ville de Bienne, AB XLIX 362 ; Trouillat, 1, no 343, pp. 514-515) ; un document du 16 janvier 1233, une donation du comte Louis de Ferrette (dit le Féroce), sous son sceau, mais en faveur de Bellelay, pourrait aussi être de la main d’un chanoine (AAEB, Série chartes ; Trouillat, 1, no 355, p. 529).

[62] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 250, pp. 385-388 (bulle de 1182, sous la fausse date du 14 mars 1181) et Trouillat, 2, no 19, pp. 27-30.

[63] Trouillat (voir notre note 18), 2, no 19, pp. 27-30, ici p. 27. Il apparaît aussi sous le nom de Rimbaud de Spechbach pour une autre donation mentionnée dans la même bulle, ce qui ne constitue en aucun cas la preuve qu’il s’agit de deux personnages différents, mais tient simplement à la manière dont le dossier présenté à la chancellerie pontificale a été constitué par Bellelay. La désignation d’un même personnage sous deux noms différents n’est alors pas rare et renvoie aux particularités de l’anthroponymie de cette époque.

[64] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 250, pp. 385-388, ici p. 386.

[65] Il serait fastidieux d’en faire la liste ici, nous renvoyons donc le lecteur aux index nominum des volumes 1 et 2 de Trouillat (qu’il convient de manier avec précaution, en raison de diverses erreurs d’identification des personnages – les chevaliers de Pleujouse, par ex. – et de la présence de documents tenus par Trouillat comme authentiques, alors que la recherche récente les considère comme des faux ultérieurs).

[66] Le terme figure dans la notice : « Memoria tam donationis quam venditionis… »

[67] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 202, pp. 311-312.

[68] Voir l’article de Luca Ricossa dans le présent site web et les travaux d’Olivier Cullin (voir notre note 57).

[69] Voir le site web de l'École nationale des chartes déjà mentionné plus haut (note 57).

[70] Ernst Tremp, « Heilige Menschen – heilige Stätten. Die jurassische Wallfahrt », in Jean-Claude Rebetez (dir.), La donation de 999 et l’histoire médiévale de l’ancien Évêché de Bâle, Porrentruy, 2002, p. 243- 285.

[71] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 185, p. 280 : « (…) et beati Imerii ecclesiam, in qua divino mancipati estis obsequio », bulle de 1142.

[72] Trouillat (voir notre note 18), 1, no 276, p. 424 ; sur les bâtiments : Alfred Wyss, Die ehemalige Prämonstratenserabtei Bellelay, eine Architekturhistorische Monographie, 1960.

[73] Sur les saints régionaux et/ou du diocèse de Bâle : Jean-Claude Rebetez « Aux origines des saints emblématiques du ciel bâlois », in Jean-Claude Rebetez (éd.), Pro Deo. L’ancien évêché de Bâle du IVe au XVIe siècle, Porrentruy-Delémont, 2006, p. 133-144.

[74] Gamper et Jurot 1999 (voir notre note 50), p. 84.

[75] Ajouts : « deus adjuva me », « Petra movens non colligit mussam » et un dernier essai inachevé : « Qu ».

[76] (« Sancta Maria », « Plange tuo dolore (…) » « Cunctipotens genitor deus omnis creator / eleyson »), voir la lecture plus complète dans Gamper et Jurot 1999 (voir notre note 50), p. 82 ; nous remercions Luca Ricossa qui a confirmé l’interprétation de la notation musicale.

[77] Gamper et Jurot 1999 (voir notre note 50), p. 82 (nous resserrons un peu la chronologie).

[78] Ajout : « et justitia oriatur simul : ego dominus creavi eum. ».

[79] Information donnée par Romain Jurot lors de sa conférence présentée au colloque de Bellelay de 2004 (non publiée).

[80] Incendies de 1402, 1480 et peut-être 1499, lors de la Guerre des Souabes ; les dégâts de l’incendie de 1402 sont à l’origine de la réalisation du cartulaire notarié de Bellelay, en 1414 (AAEB, B 133/26a).

[81] AAEB, Série chartes, 31 juillet 1350 (régeste incomplet dans Trouillat (voir notre note 18), 5, p. 692).

[82] Voir HS IV 3, pp. 84 et 109, notes 157-164.

[83] Ce bréviaire est le Manuscrit no 67 de la Bibliothèque Municipale.

[84] Aimablement communiquée par Michèle Mauguière, de la Bibliothèque Municipale de Montbéliard (nous n’avons nous-même pas eu le temps de consulter ce volume).

[85] À l’exemple des quelques incunables conservés aujourd’hui à la Bibliothèque cantonale jurassienne et identifiés par Romain Jurot comme provenant de la bibliothèque de Bellelay, mais qui n’y ont apparemment fait leur entrée que tardivement : Romain Jurot, Catalogue des incunables du fonds ancien de la Bibliothèque cantonale jurassienne à Porrentruy, Dietikon-Zurich-Porrentruy, 2000, voir en particulier l’index des provenances, p. 148 sqq.

[86] Quatre fragments au total. AAEB : Divers 1 (tiré de la reliure de B 133/32) ; reliures de B 133/21 et B 133/12. Burgerbibliothek Bern : Cod. 749.7. (achat de 1943, document provenant aussi d’une reliure de Bellelay).

[87] Nadia Togni, « Frammenti di una Bibbia atlantica proveniente dall’abbazia premonstratense di Bellelay », Revue suisse d’histoire, vol. 58, 2008, no 4, pp. 379-406 ; Nadia Togni a publié cet article en marge de son travail sur l’ensemble des bibles atlantiques de Suisse.

[88] Le fait que les psaumes et les évangiles des bibles atlantiques sont écrits en lettres plus petites que le reste du texte explique la taille réduite du module d’écriture du fragment B 133/12.


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