Elsa Maldiney et sa peinture

par Christian Chaput, 2018


Une existence discrète en permanente recherche ... de soi et du monde.

 

Comme pour beaucoup d’artistes on peut dire que, pour Elsa Maldiney, avant d’être des œuvres d'art ses toiles sont des lieux d’être. Elle peint jusqu'en 2011, puis elle perd progressivement la vue.

Elsa Vervaene est née à Melle (ville voisine de Gand) en 1915. Son père fournissait les grandes familles européennes et les villes en plantes « rares » : azalées, palmiers etc. ... Il reçut de nombreuses récompenses internationales. Il décède alors qu’Elsa est très jeune. Auprès de sa mère et de ses frères et sœurs Elsa n'est pas heureuse. Très tôt les rêveries dessinées commencent. Dans son souvenir et selon ses dires elle a hâte de quitter la maison familiale pour s'inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts de Gand. Dans un premier temps elle habitera seule, dans une sorte de « pensionnat religieux » voisin de l’école. Elle a pour professeur le peintre Jos Verdegem, dont la célébrité est grande, aux côtés des expressionnistes flamands comme Spilliaert, Permeke ou Ensor, d’autres encore. Mais Verdegem, très différent d'eux, s’intéresse beaucoup aux portraits des clowns de la famille Fratellini, aux cavaliers, aux portraits de femmes. C'est lui qui illustrera « L’éloge de la main », ouvrage d’Henri Focillon lors de sa publication flamande. Henri Focillon sera un jalon important dans la pensée d’Henri Maldiney, qui fait souvent référence à son ouvrage le plus connu : « Vie des formes » (1934).

 

Elsa et Verdegem se marient en 1937. D'une première union Verdegem a un fils dont Elsa fera souvent le portrait. Auprès de Verdegem elle apprend le dessin classique (dessin 1 « l'enfant qui dort » 1949, réalisé pourtant après leur séparation), la gravure, la lithographie. Elle réalisera pour le compte du peintre des lithographies de ses œuvres.

Elle développe également sa propre sensibilité, passant de « portraits de femmes aux yeux clos » (toiles 2 et 3), aux « natures mortes » dans les années 1940 (photos 5 à 11). Elle expose en 1947 avec les autres peintres gantois, élèves de Verdegem, Vlerick, d'Havé, dans un groupe baptisé « La Relève ».

Henri Maldiney enseigne la littérature à l'Institut des Hautes Études de Gand, auprès de Pierre Henri Simon, ancien de l’École Normale Supérieure de Paris et peut-êtrecompagnon de captivité. Jacques Schotte, dont la famille connaissait celle d'Elsa Vervaene, assiste aux cours de Maldiney : il lui propose une visite à l'exposition « La Relève » et présente Elsa à Henri.

Le couple Verdegem battait de l'aile ; la relation avec Maldiney débute (photo 4 : « Portrait de Henri Maldiney », Gand 1948). Dès ce moment la peinture d'Elsa Vervaene change. Les paysages apparaissent; ceux du midi de la France en 1947, 1948 ( Lascours, Moustiers Ste Marie, photos N°12, 13, 14). La toile N°12 intitulée par Henri Maldiney « Les deux cyprès solitaires » décorera longtemps son premier bureau dans la maison de Vézelin ; puis ce sera la toile N°14 « La grande vallée » qui lui succédera. Henri Maldiney reste à Gand ; Elsa, elle, voyage seule et séjourne dans la famille d'Alphonse Arati, architecte talentueux à Aubagne, où Henri et Elsa se retrouvent, quand ils ne sont pas ensemble à Gand. Les œuvres créées à cette époque feront l'objet d’une exposition décrite dans un bel article de Schotte. Arati, quant à lui, également compagnon de captivité de Maldiney, construit l’hôpital des Escartons à Briançon. Il demande à Elsa de dessiner les vitraux de la chapelle. Ceux-ci seront réalisés par les Ateliers Thomas, maîtres verriers à Valence (1957).1

Au début des années 1950, Elsa veut changer de « style de peinture », trouver « un rocher à peindre ». Elle part seule le long de la côte méditerranéenne et s’arrête finalement à Cannes où elle peint des bateaux (photo 15 : « Bateaux à Cannes » 1952), puis un palmier (photo 17) vraisemblablement retravaillé après la rencontre avec Tal Coat, d’où la date de 1953. (1)

Dès 1948, au cours des séjours dans le midi en compagnie de Maldiney, Elsa Vervaene fait la connaissance de Pierre Tal Coat. Elsa et Henri lui achètent des œuvres, Tal Coat leur en donne. Ils avaient « découvert »l'abstraction lyrique de l’école de Paris à Bruxelles et à Paris lors d'une exposition du groupe « Jeune France » dont faisaient partie notamment Bazaine, Singier, Manessier, auxquels ils ont ensuite acheté des œuvres.

Elsa et Henri séjournent souvent l'été à Aix en Provence, au Tholonet ; les Tal Coat sont à Château noir, sur les traces de Cézanne dont la peinture et l'esprit compteront tellement pour eux. Henri Maldiney travaille avec Duthuit, Elsa rencontre Méraude Guevara, François Aubrun. Mais c'est la rencontre avec Bazaine et Tal Coat qui futfondamentale et durable pour les deux. Tal Coat aura une influence particulière sur la peinture d' « Elsa Maldiney » (désormais son nom de peintre). La rencontre avec les poètes Ponge et du Bouchet fut aussi très importante.

Une grande amitié naît entre Elsa et Xavière, la femme de Tal Coat ; celui-ci « ne passe » rien à Elsa, dont la peinture évolue vers l’abstraction. Un jour devant une œuvre qu'il juge ratée « La petite mer, 1952» (photo 16), Tal Coat dit : « Avec cette technique, vous n'arriverez jamais à ouvrir l'espace ». Il prend un fusain noir dessine trois lignes obliques et verticales : l'espace surgit. Elsa Maldiney apprend vite et retient la leçon : les noirs et les blancs, le contraste qui fait ouverture de l'espace. L’abstraction s'installe et ce sera la période des toiles de « Château Noir » 1953-1954 (photos 18, 19, 20). Beaucoup d'échanges entre ces deux-là : les médiateurs, les couleurs, la térébenthine de Venise, etc. … Mais il serait faux de dire que Elsa Maldiney fait « du » Tal Coat ou « du » Aubrun : elle peint « du » Elsa Maldiney.

Elsa Maldiney ne peint plus de portraits, ne dessine plus, seul compte le paysage (« Le pont sur La Lieve », 1953), l'espace, la montagne de la Vanoise : « Termignon » 1960 (photos 22 et 23).

En 1955, Henri Maldiney est chargé de l’enseignement de la psychologie et de l’esthétique à la Faculté de Lyon et quitte Gand. Jos Verdegem meurt en 1957. Elsa et Henri se marient et s'installent à Lyon. Les deux aiment l'escalade : la Barre des Ecrins, la Meije dans le massif de l'Oisans, le Mont Rose, le Liskamm en Suisse, ou encore le massif du Mont Blanc. Pour Elsa c’est aussi le temps des volumes contrastés (période des immeubles de Lyon 1958 à 1962 (photos 24 et 25).

Puis à nouveau tout change : les formes géométriques deviennent présences : les cercles des années 1974 à 1979 (photos 35 et 36) les triangles des années 1980 à 1990 (photos 26 et 27), les contrastes de couleurs, mais aussi la subtilité des matières avec les papiers collés des années 1970 à 1980 (photos 28 à 34). Le « Papier collé » (photo 34) se trouvait dans l'entrée de la maison de Vézelin où le couple séjourne à peu près six mois par an à partir de 1976. Toute cette période révèle une grande variété de matières, papiers journaux bruts, toiles peintes puis collées, couleurs variées et magnifiques, mais souvent peu lumineuses.

Alternance de périodes très inspirées, de moments silencieux, peut-être dépressifs au cours desquels Elsa Maldiney se rendait néanmoins chaque jour dans son atelier, attendant que la peinture revienne, ce qui finissait toujours par arriver. Ils voyagent, par exemple au Brésil dont les espaces et les oiseaux seront une source d'inspiration (Le Pantanal - : voir note à la fin de l’article) Elle aurait eu besoin d'exposer, mais pour elle l’œuvre de son mari passait avant la sienne. Pas d'exposition entre 1948 et 2008.

A partir des années 2000 et jusqu'en 2011, l'abstraction se fait à nouveau porteuse du geste, la couleur claire et vive revient avec les contrastes (toiles 37 à 42), même jusqu'au retour du « rouge vermillon anglais » qu’elle utilisera à nouveau pour ses dernières toiles. Elle continue de s’intéresser aux autres peintres : Joan Mitchell, Cy Twombly, ou encore Geneviève Asse, par exemple, dont elle a vu les œuvres quand les Maldiney venaient à Paris. Le monde de Bacon lui est plus difficile d’accès.

La vue d'Elsa diminue suite à une dégénérescence maculaire. En 2010 Henri Maldiney doit subir l'implantation d'un stimulateur cardiaque. Elsa est seule à Vézelin et peint la petite toile de 35 sur 27 cm « sans titre, 2010 » (photo 43), qu’elle appelle souvent « Solitude ». Quitte à sur-interpréter ou à projeter, il est difficile de ne pas voir à gauche une silhouette avec un cœur rouge face à un flou gris noir, la solitude douloureuse ... Après de nouveaux contrastes violents « sans titre 2011 » (photo 44), la dernière toile est blanche, apaisée et vivante. Bien que peinte fin 2010 Elsa l'avait choisie comme sa dernière toile (photo 45) la nommant toujours comme telle ...

Une vie de peinture qui s'achève en novembre 2016 : Elsa Maldiney venait d'avoir cent un ans.


(1) En cette même année 1953, Roland Kuhn invite Henri Maldiney à donner, à la clinique psychiatrique où il travaille sur les bords du lac de Constance, une conférence dont le titre s’intitule « Les conditions de l’abstraction dans l’Art contemporain ». A cette occasion, Henri Maldiney rencontre leDr Ludwig Binswanger, directeur de la clinique privée de Bellevue, à quelques kilomètres de là.

 

 

Les photos des tableaux ont été réalisées par :

Claudine Lambert, Curzay sur Vonne, France, (33 photos : 1-2-3-4 / 10-11 / 13-14-15-16-16bis-17 / 19-20-21-23-24-25-26-27 / 29-30-31-32-33 / 35 / 36 / 41-42-43-44-45)

Philippe Grosos, professeur de Philosophie a l'université de Poitiers (86000), Co-responsable de la réédition des œuvres de Henri Maldiney aux Éditions du Cerf (Paris), (3 photos : 5-12-28)

Christian Chaput, psychiatre, psychanalyste a Paris, Co-responsable de la réédition des œuvres de Henri Maldiney aux Éditions du Cerf (Paris), (10 photos : 6-7-8 / 18 /22 / 34 / 37-38-39-40) et diverses photos d’Elsa et d’Henri.

Robert Siegenthaler, Porrentruy, Suisse : Photo du tableau " L’Oiseau du Pantanal", en page d'accueil)

Le tableau« L’oiseau du Pantanal » (Brésil)1983, a été donné à Marie-Madeleine et Robert Christe lors d’un de leurs séjours à Vézelin. L’idée de reprendre le thème de l’oiseau s’envolant d’un marais, comme d’une personne sortant de sa dépression, a mené Marie-Mad à l’esquisse du logo de l’Atelier d’Axiane. Elsa exprima d’emblée son accord, ajoutant qu’elle appréciait l’idée de ce lien personnel. Le logo ne fait que suggérer l’envol et le tableau lui-même s’offre aux regards sur la page d’accueil du site www.axiane.ch.


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